Big data

Comprendre le présent et créer l’avenir


En Suisse, les premières villes commencent à utiliser les données mobiles anonymisées pour évaluer les projets d’infrastructure. Le Future Cities Laboratory de l’EPF de Singapour va encore plus loin. Il utilise le big data et une simulation de la totalité de la population de la ville pour optimiser la planification de réseaux d’infrastructure et de quartiers entiers.


Daniel Meierhans




Comment utiliser au mieux les ressources financières limitées? Toutes les grandes villes suisses font face aux mêmes défis. Les agglomérations croissent. La densité augmente, de nouveaux quartiers apparaissent, l’afflux d’habitants transforme les quartiers existants. Les futures infrastructures de transport ne peuvent pas se contenter de répondre aux nouveaux besoins en mobilité. Afin que la croissance actuelle se maintienne de manière durable, il est également nécessaire d’améliorer la qualité de vie des habitants de centres-villes de plus en plus compacts. Pour Kay Axhausen, directeur de l’Institut de la planification du trafic et des systèmes de transport de l’EPF de Zurich, une chose est sûre: «Des infrastructures n’arrivant à saturation qu’au bout de 40 ans, comme les infrastructures surdimensionnées développées en Suisse dans les années 1950, notamment avec le réseau autoroutier, ne sont aujourd’hui plus envisageables.»


«Pour décider lesquels de ces projets coûteux sont judicieux, les responsables administratifs – et les citoyens – ont besoin de données fiables.»


Une base de données pour des investissements se chiffrant à plusieurs milliards

Concrètement, des projets de plusieurs dizaines de milliards de francs font actuellement l’objet de discussions ou sont déjà en cours dans les villes de Zurich, Bâle, Genève et Lausanne. Ils concernent, en plus du développement des réseaux piétonnier et cyclable, la réalisation de nouvelles lignes de tramway et de train de banlieue, d’autoroutes de contournement, de tunnels sous les centres-villes ou d’ouvrages d’art aériens ou souterrains de franchissement des lacs. Pour décider lesquels de ces projets coûteux sont judicieux et comment ils doivent être mis en œuvre, les responsables administratifs – et, en dernière instance, les citoyens – ont besoin de données fiables.


Représenter la dynamique de la vie urbaine

La ville de Genève a pris conscience du potentiel du big data pour les projets d’urbanisme de ce type dès 2011. Le projet pilote «Ville Vivante» montre de manière éloquente avec quel réalisme les données de déplacement des téléphones mobiles permettent de représenter la dynamique de la vie urbaine. Et la technologie a encore progressé depuis. Les premières villes suisses, comme par exemple Pully, utilisent le réseau mobile pour planifier le trafic sur la base de données factuelles. Les principaux avantages des profils de déplacement des téléphones portables: Ils fournissent une représentation pratiquement exhaustive de la mobilité, sont relativement peu coûteux à relever et sont disponibles extrêmement rapidement.


Enquêtes erronées

Jusqu’à présent, les villes devaient s’appuyer sur des enquêtes telles que le microrecensement «Mobilité et transports» de la Confédération. Ces enquêtes ne peuvent être réalisées qu’à plusieurs années d’intervalle, en raison de leur coût, et comportent fondamentalement une part d’incertitude. L’éventail de questions ainsi que l’échantillon sont limités. Les modèles de comportement les plus rares sont ignorés, et les nouvelles questions soulevées en cours d’analyse restent sans réponse. À cela s’ajoute le fait que les sondés ont naturellement tendance à fournir des réponses donnant une image positive d’eux-mêmes.


Tout cela se reflète dans l’important degré d’incertitude des modèles de trafic actuels. En revanche, les données anonymisées et agrégées fournies par le réseau mobile offrent une représentation pratiquement complète et actuelle de la réalité. «La comparaison de nos données avec les modèles précédents révèle des différences marquantes», ainsi que le constate David Watrin, responsable des produits de sécurité et de renseignement chez Swisscom.


Simuler chaque habitant

L’importance du potentiel des analyses de données de ce type, non seulement pour le trafic, mais pour tous les domaines de l’urbanisme, est montrée par les travaux du Future Cities Laboratory de l’EPF de Singapour. D’après Juniper Research, la ville figure à nouveau à la première place du classement mondial Smart Cities en 2016.


Au sein du Future Cities Lab, des ingénieurs de la circulation, des architectes, des sociologues, des experts en énergie, des designers, des spécialistes de l’aménagement du territoire et de la modélisation, développent ensemble des solutions pour la ville du futur. Ils utilisent pour cela des modèles sophistiqués comme MATSim Singapore (Multi-Agent Transport Simulation), dans lequel les spécialistes de Kay Axhausen saisissent toutes les données de mobilité de la cité-état asiatique.


Chacun des 5 millions d’habitants est représenté dans cette simulation sous la forme d’un agent logiciel doté de caractéristiques individuelles. Celles-ci proviennent des données statistiques disponibles sur les domiciles, les postes de travail et les structures sociales, de résultats d’enquêtes et des profils d’utilisateurs des Smartcards utilisées à Singapour pour facturer automatiquement l’utilisation des transports en commun. «Prises individuellement, les nombreuses interactions entre les différents éléments deviennent vite illisibles. Les modèles nous permettent de les comprendre», explique Axhausen.


Prendre en compte le comportement

En simulant dans le modèle MATSim non seulement l’ensemble du système de transport, mais également, pour la première fois, le comportement des habitants, les chercheurs de l’EPF obtiennent des informations supplémentaires essentielles. Ils peuvent notamment estimer comment les voyageurs réagiront à un changement de l’offre. À Singapour, les chercheurs ont par exemple effectué une simulation sur ordinateur pour déterminer comment une ligne de bus très longue, sur laquelle les horaires étaient systématiquement décalés, devait être scindée. Cette scission en deux lignes n’a pas seulement permis de stabiliser les horaires de bus. Grâce à l’amélioration du service, la ligne a également – comme la modélisation l’avait prédit – regagné les voyageurs qu’elle avait perdus.


Environnements fonctionnels

Une ville n’a pas uniquement besoin de transports publics et privés fonctionnels pour être attractive. La présence des zones piétonnes agréables, permettant le développement d’une vie de quartier, est au moins aussi importante. Ici aussi, les simulations peuvent constituer des outils décisifs pour garantir que les projets aboutissent à des environnements qui fonctionnent en pratique. Comment intégrer au mieux les passages routiers aériens ou souterrains dans un réseau piétonnier? Quels types de rues agissent comme des barrières à piétons? Quels sont les magasins ou les cafés nécessaires pour attirer les passants? Comment intégrer un parc dans son environnement pour qu’il puisse être utilisé comme îlot de tranquillité? Les réactions des habitants virtuels montrent, par l’interaction au sein de l’écosystème de la ville, quelles sont les variantes prometteuses et celles qui ont peu de chances de fonctionner.


Gérer à court terme…

Actuellement, Kay Axhausen voit le principal avantage du big data dans la gestion à court terme: «Il permet de détecter les évolutions immédiatement et donc de réagir rapidement.» Concrètement, les données de déplacement des téléphones portables permettent notamment de détecter rapidement les embouteillages ou les attroupements problématiques, et de les prévoir dans un certain délai. Dans les villes suisses, la gestion des feux de signalisation peut par exemple être améliorée, comme l’explique David Watrin: «Nos données ne comprennent pas seulement les capteurs de comptage actuellement installés dans les axes principaux, mais toutes les rues. L’image du trafic obtenue est donc beaucoup plus complète.»


…et optimiser en continu

Le fait que le big data rend les changements immédiatement visibles donne aux urbanistes un puissant levier supplémentaire: De la même manière que Google et les grands propriétaires de site améliorent étape par étape la convivialité des nouvelles fonctionnalités à l’aide d’analyses en temps réel, les urbanistes pourront à l’avenir optimiser en continu les réseaux d’infrastructure et les quartiers. Les données mobiles permettent d’identifier les mesures qui permettent ou ne permettent pas d’obtenir les effets escomptés, et les changements dans l’utilisation de l’environnement urbain apparaissent beaucoup plus rapidement. Dans le cadre du programme national de recherche «Big data» (PNR 75), l’EPF lance un projet ayant pour but de montrer comment également utiliser les données pour la planification à long terme.


Meilleure planification du trafic à Pully

La commune vaudoise de Pully mise sur la planification du trafic sur la base de données mobiles agrégées. La ville est traversée par quatre principaux axes de circulation – Pully souffre d’un trafic de transit important. Pour améliorer le trafic, faciliter l’accès au centre-ville et améliorer la qualité de vie de la population d’environ 16 000 habitants, Pully a réalisé avec Swisscom un projet exemplaire. Elles ont développé en commun une méthode d’amélioration de la planification des infrastructures et du trafic permettant de visualiser les flux de trafic dans leur globalité sur la base des données mobiles. Swisscom travaille également en collaboration étroite avec des établissements d’études supérieures afin de développer des modèles de simulations supplémentaires pour les futures applications.






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