Interview avec Roger Wüthrich-Hasenböhler, CDO de Swisscom

«Aujourd’hui, l’innovation est portée par le cloud et les données»

En tant que Chief Digital Officer (CDO) de Swisscom, Roger Wüthrich-Hasenböhler est au cœur de l’innovation. Dans cet entretien, il évoque la manière dont les évolutions technologiques façonnent les entreprises et Swisscom, ainsi que l’influence du capital-risque et de l’intelligence artificielle sur l’économie suisse.

Texte: Andreas Heer, Photo: Swisscom
28 avril 2023

Roger Wüthrich-Hasenböhler

Roger Wüthrich-Hasenböhler, vous êtes le CDO de Swisscom depuis sept ans. Quels ont été pour vous les temps forts de cette période?

Il y a sept ans, la transformation numérique était le grand sujet. Les entreprises ont pris conscience de l’impact des nouvelles technologies. Des modèles commerciaux disruptifs sont apparus et des possibilités inédites se sont ouvertes, par exemple la blockchain. Pendant des années, l’infrastructure avait joué un rôle central. Et soudain, une technologie décentralisée a fait son apparition, qui peut numériser les valeurs réelles, les négocier et les sauvegarder, offrir de nouvelles devises… Ces thèmes étaient et restent passionnants, et un temps fort lorsque l’on travaille quasiment dans l’œil de la tempête.

Comment faire passer une entreprise prospère dans ce monde numérique aux toutes nouvelles possibilités? Ces réflexions étaient au cœur de la stratégie de la direction et du Conseil d’administration. Cela a aussi été un temps fort pour moi: il régnait une atmosphère de renouveau, car les entreprises étudiaient alors la manière dont elles pouvaient transformer leur activité et conquérir de nouveaux secteurs.

D’un point de vue technologique, sept ans est une éternité. Comment votre rôle a-t-il évolué au cours de cette période?

Mon rôle n’a pas beaucoup changé, mais la dynamique s’est encore accélérée. Aujourd’hui, les développements sont guidés par les logiciels, par le cloud, où l’on dispose de très nombreuses données, par les possibilités des algorithmes autoadaptatifs, à savoir le Machine Learning et l’intelligence artificielle. Pour moi, il s’agit d’une nouvelle vague de numérisation.

D’un côté, la vitesse à laquelle ce thème évolue est un progrès. Mais de l’ autre, nous, les humains, n’arrivons plus du tout à suivre. Si l’on prend ChatGPT comme exemple, les questions de politique sociale sont au premier plan: qu’est-ce qu’il sait faire ou non? Qu’est-ce qu’il invente, qu’est-ce qui est réel? Je pense que le thème de la vitesse se ressent très bien ici..

Comment les entreprises peuvent-elles faire face à cette évolution fulgurante?

Il y a plusieurs aspects. En règle générale, une entreprise réussit grâce à ses services et produits et évolue grâce à son modèle commercial. Cette activité doit être aussi performante que possible pour réussir sur le marché. L’entreprise crée ainsi les bases pour planifier les prochaines étapes: quelles sont les conditions pour réussir dans trois ou cinq ans? Quelles tendances technologiques sont importantes et lesquelles pourraient menacer ou perturber mon modèle commercial? Cela permet à une entreprise de faire évoluer son modèle commercial afin qu’il reste fructueux. Il est essentiel d’avoir des spécialistes dans ces domaines. Ce sont toujours des humains qui gèrent les aspects commerciaux. Il est donc essentiel d’avoir les bonnes personnes dans son équipe, de disposer des compétences et de la confiance des clients pour analyser les technologies émergentes et vérifier leur influence. Ce sont les facteurs de réussite que je perçois.

Roger Wüthrich-Hasenböhler

«Un facteur de réussite décisif, c’est avoir les bonnes personnes au sein de l’entreprise pour analyser et contrôler les nouvelles technologies.»

Roger Wüthrich-Hasenböhler

Comment Swisscom aborde-t-elle ces évolutions? Comment fait-elle progresser l’innovation?

L’innovation n’est pas une fin en soi, mais doit faire avancer l’entreprise. Pour moi, il existe deux niveaux d’innovation. Dans un premier temps, l’innovation vise à rendre une entreprise plus compétitive en développant des processus efficaces pour simplifier autant que possible l’activité. La deuxième étape consiste à innover dans l’entreprise elle-même, afin de développer de nouveaux services à la clientèle qui répondent à un besoin et pour lesquelles la clientèle est prête à payer, c’est-à-dire des innovations qui peuvent être commercialisées et créent une situation gagnant-gagnant. Chez nous, cela signifie un nouveau produit pour notre clientèle et un nouveau chiffre d’affaires pour Swisscom. Aujourd’hui, 70% de notre chiffre d’affaires est réalisé avec des produits qui n’existaient pas il y a dix ans.

Un autre aspect de l’innovation est une culture d’entreprise qui implique de se perfectionner en permanence. Chez Swisscom, nous avons un long passé: nous avons inventé la carte prépayée, été à l’avant-garde de l’itinérance, et les premiers à commercialiser une carte de données de communication mobile pour ordinateurs portables avec «Mobile Connect». Il s’agit là d’innovations nées chez Swisscom. Mais nous avons aussi des défis à relever, parce que la Suisse est petite et que nous n’avons pas les possibilités des groupes technologiques internationaux. Il est donc important que nous nous concentrions sur les possibilités innovantes qui nous intéressent. L’innovation devrait contribuer à la réalisation des objectifs commerciaux et à l’organisation des futures affaires.

L’innovation joue donc un double rôle chez Swisscom: d’une part, faire progresser Swisscom elle-même, et d’autre part, faire progresser la clientèle?

Aujourd’hui, nous disposons d’un écosystème d’innovation dans lequel les start-up assument un rôle innovant, parce qu’elles sont agiles et rapides. Il s’agit ici de participer à cet écosystème. Depuis quelques années, Swisscom joue un rôle de leader en Suisse. Cela nous permet d’être au plus près des tendances. Et avec Swisscom Ventures, nous avons également la possibilité d’investir dans des start-up. C’est extrêmement important: sur les dix plus grandes entreprises du monde, neuf ont été financées par du capital-risque. Il y a 20 ans, il n’y en avait qu’une. Les choses ont radicalement changé. On voit également aux États-Unis et en Chine comme l’argent alimente le monde des start-up. 

Dominique Mégret, le directeur de Swisscom Ventures, réclame d’investir encore bien plus en Suisse.

Nous avons lancé une initiative stratégique, «Switzerland 50». Nous voulons amener la Suisse à investir en tout 50 milliards dans le capital-risque d’ici 2030. Aujourd’hui, environ 4 milliards sont investis chaque année. Avec cette initiative, nous souhaitons contribuer à faire de la Suisse une «nation Deeptech» d’ici 2030 et créer 100 000 emplois dans ce domaine, en amenant l’écosystème suisse de l’innovation à adopter avec nous l’idée d’une nation Deeptech et à tout mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. Pour continuer à figurer parmi les pays les plus innovants en 2030 et, bien sûr, rester compétitifs, disposer d’emplois attrayants et contribuer ainsi à garantir la prospérité.

«Dans le secteur bancaire, les défis posés par les nouvelles technologies sont énormes.»

Roger Wüthrich-Hasenböhler

Comment Swisscom peut-elle soutenir le secteur bancaire grâce à l’innovation?

Nous avons déjà abordé de nombreux sujets qui concernent également le secteur bancaire. La numérisation ou le tsunami numérique, qui sont passés pour de nombreux secteurs, sont encore à venir pour les banques. Aujourd’hui, les banques réussissent parce qu’elles ont un modèle commercial stable. Mais cela va changer avec les nouvelles technologies, les actifs et les devises numériques. Le défi est énorme dans le secteur bancaire, car il faut réglementer les nouvelles technologies avec modération afin qu’elles permettent des activités de confiance. Cela signifie que des questions telles que l’identité, l’authentification, l’AML (lutte contre le blanchiment d’argent) et le KYC (Know your customer) doivent également être clarifiées dans l’espace numérique.

Swisscom a déjà montré qu’elle pouvait jouer le jeu. Un exemple: notre filiale Ajila a mis en œuvre pour une banque cantonale un processus d’ouverture de compte numérisé, qui permet aux clients d’ouvrir un compte sans intervention humaine. L’identification en ligne, qui s’effectue via un smartphone, est reconnue légalement et totalement sûre. C’est une innovation. L’avantage est désormais évident avec la fusion bancaire. En mars, il y a eu six fois plus d’ouvertures de comptes en ligne qu’au cours des deux premiers mois. 

Nous disposons d’une large palette dans le domaine de la confiance et nous avons pour ambition d’être des innovateurs de confiance. Dans le secteur bancaire en particulier, grâce à notre infrastructure, à l’exploitation de systèmes bancaires centraux, à notre expertise dans le domaine des infrastructures décentralisées et à la sécurité en matière d’AML/de KYC, nous avons beaucoup à offrir.

Dans quel domaine attendez-vous «the next big thing» qui influencera Swisscom?

Nous devrons nous pencher de manière intensive sur l’intelligence artificielle. C’est extrêmement important pour différents domaines. Examinons les algorithmes d’IA générative tels que Chat GPT d’Open AI ou Bard de Google du point de vue de Swisscom: avec un algorithme intelligent, il est possible de trouver la cause d’une demande d’assistance via notre chatbot, et de proposer en un clin d’œil des solutions qui nécessiteraient sans cela un travail manuel et des clarifications. Des algorithmes intelligents peuvent proposer directement une solution; peut-être même résoudre le problème avant même que le client ne s’en aperçoive.

Ce sont précisément les thèmes qui, à un moment donné, viendront perturber une entreprise stable et prospère parce qu’un nouveau venu fera affaire d’une manière complètement différente, avec une meilleure expérience client et à un coût infime. Nous devons rapidement acquérir de l’expérience afin de déceler les occasions, mais aussi les dangers et les risques que représentent ces systèmes. Disposer de compétences dans ce domaine est essentiel.

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