50 experts surveillent et défendent en continu les réseaux d’entreprise de clients. Quel rapport entre Roger Federer et les cyber-criminels? Qui protège les entreprises contre les attaques de pirates en Suisse? Visite du centre de sécurité de Swisscom à Zurich.
Mis à jour le 20 janvier 2021, Texte: Flavian Cajacob, Images: Michele Limina, Publié dans le NZZ supplément du 9 novembre 2017 4 min
Le badge de Markus Kaegi lui permet de passer les trois premières portes, mais pas la quatrième. «Ici, moi non plus je n’entre pas», explique le Product Manager des Security Services chez Swisscom, ajoutant qu’«il s’agit d’un accès de niveau de sécurité 4 réservé uniquement aux collaborateurs du Security Operation Center.». Au total, l’on en compte 50, tous des professionnels maîtrisant parfaitement le sujet. Leur chef est Nemanja Mitic.
Il s’agit d’un jeune homme intelligent avec une barbe généreuse qui ouvre à présent le sas depuis l’intérieur et qui se retrouve au niveau de sécurité 3. «Quiconque veut travailler dans mon équipe est examiné sous toutes les coutures – en termes de compétences, humainement et, naturellement, l’on examine aussi l’irréprochabilité de sa réputation.» En d’autres termes: qui ne passe pas le contrôle de sécurité relatif aux personnes n’obtient pas de travail au Security Operation Center (SOC) de Swisscom dans le quartier de Binz de Zurich.
Pour une grande partie des entreprises suisses, la cybercriminalité est déjà une réalité. Les grandes entreprises ne sont pas les seules concernées, cela touche également toujours plus les petites et moyennes entreprises. Selon une nouvelle étude de KPMG, neuf des dix entreprises suisses interrogées ont été victimes de cyberattaques ces derniers mois. Cela représente une hausse de 34% par rapport à l’année précédente. Une autre enquête, menée cette fois par EY, a par ailleurs révélé que seuls 2/5 des entreprises interrogées dans notre pays étaient en mesure de détecter des cyberattaques complexes.
Ces chiffres sont impressionnants mais pas surprenants. En effet, la surveillance et la protection des réseaux d’entreprise sont toujours plus étendues et complexes. «Coûts, capacités, savoir-faire – une entreprise peut rapidement se sentir dépassée par tout cela», constate Markus Kaegi de manière objective. Ce sentiment d’être dépassé, est-ce une raison de freiner des quatre fers sur la sécurité? Une mauvaise raison sans doute.
Les cyber-risques sont nombreux (voir encadré). Nemanja Mitic supprime d’une simple pression sur un bouton le cache qui protège les collaborateurs du SOC des regards de ceux travaillant dans la salle de conférence voisine. Il explique: «Nous travaillons ici 24h/24 et 7j/7. Croyez-moi, nous ne nous ennuyons jamais!» Son collègue M. Kaegi présente d’autres chiffres. Selon ses données, les experts en sécurité de Swisscom bloquent tous les mois en moyenne 2 250 attaques par hameçonnage et détectent 1 300 attaques avec des logiciels malveillants.
Ces actions de défense réussies sont souvent passées sous silence. «Nous, Suisses, préférons garder cela pour nous lorsque quelque chose de désagréable comme une cyberattaque se produit, cela est inscrit dans notre ADN», explique Markus Kaegi. Cela peut parfaitement se comprendre et, dans le même temps, c’est comme si nous nous tirions une balle dans le pied. «En particulier dans la lutte contre la cybercriminalité, un peu de transparence pourrait être profitable à tous.» Les attaques visant des réseaux d’entreprise pourraient être contrées plus rapidement et plus largement, et les données analysées pourraient fournir des informations sur d’autres attaques prévues.
Cela fait longtemps que les adolescents hackers qui suscitent étonnamment l’admiration du grand public ne sont plus la source du problème. «Nous avons affaire à des structures organisées de manière professionnelle; la cybercriminalité a pris entre-temps une ampleur industrielle», souligne M. Kaegi. Swisscom combat de tels agissements dans les réseaux grâce à un large portefeuille de Managed Security Services (MSS-i). Ceux-ci peuvent être associés de façon modulaire selon les besoins. Le client se constitue un paquet qui garantit la protection des infrastructures IT et des processus commerciaux numériques.
Il y a de l’ambiance dans le Swisscom Security Operation Center dans le quartier de Binz de Zurich. Il serait toutefois exagéré de parler d’effervescence. Sur l’un des grands écrans affichant entre autres les cyberattaques actuelles, le dossier d’un client apparaît. Cela signifie que la plateforme de surveillance intelligente enregistre un incident et qu’elle n’a pas réussi, pour une fois, à y remédier – l’attaque est alors qualifiée de «menaçante» par le système de défense automatique. Les analystes en sécurité interviennent, deux hommes et une femme se consultent et délibèrent sur la suite de la procédure. «C’est toujours une histoire d’interaction entre l’homme et la machine», explique Nemanja Mitic. «À présent, il faut que les choses aillent vite; pendant que mes collègues travaillent à l’élaboration d’une solution, le client est informé de l’incident.» Sur un Dashboard, ce dernier peut suivre l’évolution en temps réel.
Fausse alerte à cause de FedererUn acte criminel n’est pas toujours ce qui déclenche l’alarme. N. Mitic cite un exemple issu de la pratique: «Si Roger Federer dispute un match de tennis, les personnes dans les bureaux veulent pouvoir suivre la partie.» Ils regardent donc le jeu sur l’écran de leur ordinateur. Le responsable du SOC sourit. «Et il peut arriver que certains réseaux interprètent cette charge excessive comme une attaque ciblée du service informatique.»
L’attaque de piratage(ouvre une nouvelle fenêtre), qui a occupé les spécialistes, est entre-temps évincée. Le client a été victime d’une attaque par hameçonnage. Le firewall de Swisscom est cependant capable de bloquer le malware – grâce aux agents de sécurité, un dommage a pu être évité. Le client reçoit maintenant un rapport détaillé, et les analystes sirotent leur thé. Personne ne sait quand est-ce que le prochain cas sérieux va se présenter.
Sur les grands écrans accrochés au mur du Swisscom Security Operation Center, la liste des tâches à traiter apparaît. À côté, le président américain parle. Et sur un troisième écran, des lignes blanches se croisent, lesquelles affichent les cyberattaques actuelles dans le monde entier. Nemanja Mitic active le cache: fin de la présentation. «Nous sommes un peu comme les videurs postés à l’entrée d’un club tendance», explique-t-il, s’apprêtant à quitter le niveau de sécurité 3 pour entrer dans le niveau de sécurité 4. «Nous refusons l’accès à ceux qui pourraient générer des problèmes. Et mettons dehors tous ceux qui font du grabuge.»